Texte de Christiane Laforge
lu à la présentation de Marie-Nicole Lemieux
au gala de l’Ordre du Bleuet le 2 juin 2018
Femme flamme qui embrase les scènes lyriques du monde depuis le début du XXIe siècle, Marie-Nicole Lemieux est née à Dolbeau le 26 juin 1975. Coïncidence? 1975 est l’Année internationale de la femme décrétée par l’ONU. Le commencement d’une ère nouvelle que ce bouillant personnage fera sienne. Le caractère, si bien trempé dans la certitude que tout est possible, elle vit sa vie en conquérante. Oui, elle est dotée d’une voix unique, un don qui ne peut se développer que par un travail acharné. Dans un propos recueilli par François Lesueur, elle explique : « L’important est de "dompter la bête", car on ne peut pas choisir les qualités vocales. Nous venons au monde avec un timbre particulier et une tessiture, mais le velouté, la mémoire, le rythme, la prononciation, les nuances ne s’acquièrent qu’avec le travail. Il peut y avoir des instruments merveilleux, mais sans image et des voix plus laides qui créent des mondes; le travail fait toute la différence. »
Tout commence à Dolbeau. La maison de Nicole Boudreault, éducatrice en garderie, et de Jacques Lemieux, bûcheron, est un lieu de chants, de musique et de gaieté. La maman aime particulièrement la chanson française. Le papa est un fervent des ténors. De Richard Verreault à Luciano Pavarotti, ce sont les grands maîtres classiques qui s’emparent du cœur de sa petite fille. Berlioz, son premier amour musical et Les nuits d’été dont la partition, la première qu’elle a achetée de sa vie, la suit dans ses valises encore aujourd’hui.
Fille unique d’une fratrie de trois, Marie-Nicole n’a pas l’intention de vivre dans l’ombre. Entre Frédéric, son aîné de 2 ans, et Patrice, son cadet de 7 ans, elle s’impose en égale n’hésitant pas à utiliser des arguments frappants, dans le sens premier du terme, contre qui cherche à l’intimider. Son aspect physique a été le talon d’Achille de son enfance. Sa réplique, aujourd’hui, réside dans la grandeur de son talent. Immense est l’artiste devenue, acclamée pour ses qualités scéniques et vocales, admirée pour savoir donner le meilleur d’elle-même et chaque fois se surpasser.
La première rencontre déterminante de sa destinée a pour nom Sœur Clairette Lambert, directrice de la chorale Les joyeux copains. Elle enseigne à sa jeune élève de 6 ans l’art de jouer tout en chantant. Un enseignement qui sera un des atouts majeurs de la future cantatrice. À cette époque, elle porte le prénom de Suzy, auquel elle renoncera pour choisir son 2e prénom, Marie-Nicole, dont la sonorité convient mieux, croit-elle, pour amorcer une carrière professionnelle. Que ce soit la Suzy de 6 ans ou la célèbre Marie-Nicole, celle-ci garde une profonde affection à l’égard de Sœur Clairette. Affection réciproque jusqu’à la fin. Fidèle à sa meilleure élève, le dernier vœu de la petite sœur Franciscaine de Marie, décédée en 2009 à l’âge de 89 ans, a été d’entendre Marie-Nicole chanter le Stabat Mater de Vivaldi avant de s’endormir à jamais.
C’est à 10 ans que la future cantatrice ressent le premier grand frisson pour le chant lyrique. Son père apporte un disque de Luciano Pavarotti à la maison et c’est le cœur de sa fille qui est envahi. Tandis que les adolescents ne jurent que par Michaël Jackson et Céline Dion, elle écoute du Boy Georges, mais dépense tous ses sous pour du Rachmaninov et autres grands classiques. Ce qui ne l’empêche pas d’amuser la galerie en imitant les chanteuses populaires, remportant la finale de Cégep en spectacle à Saint-Félicien avec les voix multiples des Piaf, Céline Dion, Véronique Samson, Fabienne Thibault.
Depuis toujours Marie-Nicole est une gagnante. Curieusement, malgré la faveur du public, les jurys des concours régionaux de chant auxquels elle participe dans sa jeunesse la boudent. Qu’à cela ne tienne. Elle excelle en danse et même en sport : trois médailles d’or au lancer du poids, une aux jeux du Québec et deux lors de championnats provinciaux, établissant un record non encore égalé. Mais le chant est sa véritable passion. L’essence de son âme. « Prudence », conseille sa mère qui la convainc de s’inscrire en sciences pures et ainsi avoir une porte ouverte sur plusieurs options de carrière.
La raison l’emporte. Et mettant la même ardeur dans ses études que dans sa passion, l’étudiante supplante la chanteuse. Deux ans d’abandon musical. Une absence insupportable confie-t-elle : « C’est comme si j’avais arrêté de respirer ». Diplôme d’études collégiales en mains, l’amour du chant crie victoire. En audition, elle enthousiasme les professeurs de musique du Collège d’Alma tandis que le directeur du Conservatoire de musique du Québec à Chicoutimi, Jacques Clément, manifeste une neutralité déconcertante. De quoi titiller son humeur combative et l’inciter à défier les réticences du Conservatoire. Heureux choix. Apprenant l’italien auprès de Tino Napoli, elle étudie le chant sous la direction de Rosaire Simard. Il lui ouvre grand les portes de l’univers opératique. Il l’aide à se forger une armure pour affronter les difficultés et la cruauté, parfois, du monde de la scène. Il lui apprend, par le yoga, à accroître sa concentration et à maîtriser la peur inévitable qui assaille les artistes les plus grands. En 1997, hélas!, le chant n’est plus enseigné à Chicoutimi. Marie-Nicole s’inscrit au Conservatoire de Montréal pour étudier avec la soprano Marie Daveluy, son guide encore aujourd’hui. Celle-ci reconnaît en son élève une voix de contralto et, dans une lettre d’appui à son inscription à un concours de musique, la compare même à Maureen Forester.
Prélude à des lendemains lumineux, lauréate de plusieurs concours de musique, dont le prix Hydro-Québec du Festival de musique du royaume et le prix Joseph-Rouleau des Jeunesses musicales du Canada, elle prend le risque de sa vie. Avec les bourses des prix gagnés et les revenus d’un spectacle-bénéfice organisé par sa mère à Dolbeau-Mistassini, la jeune Dolmissoise de 24 ans part pour Bruxelles. Elle y remporte le prestigieux Prix de la Reine Fabiola et le Prix du Lied du concours Reine Élisabeth de Belgique. D’autres victoires suivront; entre autres le prix Virginia-Parker, six fois le Prix Opus, le Prix Junos, Prix Georges Solti, Grand Prix Charles Cros pour le disque Ne me refuse pas. Elle est nommée Dr Honoris causa de l’Université du Québec à Chicoutimi en 2011, membre de l’Ordre du Canada et Chevalier de la Pleïades en 2012, ainsi que Chevalier de l’Ordre national du Québec en 2013.
Comment résumer la carrière de Marie-Nicole Lemieux, ses débuts en musique baroque, ses répertoires français et italien du XIXe siècle, ses grands opéras, ses récitals? Cassandre dans Les Troyens de Berlioz, Orlando dans l’Orlando furioso de Vivaldi, Tancrède de Rossini, Mrs Quikly, dans l’Opéra Falstaff de Verdi, elle est femmes et hommes multiples.
Une discographie impressionnante témoigne de l’ampleur de sa carrière. Sa fougue, son jeu de scène, aussi efficace dans le drame que dans le comique, sa capacité à transcender le personnage et son intensité sont au service d’une voix qu’elle ne cesse jamais de parfaire. Les critiques rivalisent de superlatifs pour exprimer tout le bien qu’ils en pensent et les ovations du public les confortent dans la certitude d’avoir bien entendu.
Les prix et les honneurs lui sont un encouragement, mais sa fierté réside dans les rôles qu’elle interprète avec brio sur les plus grandes scènes du monde : la Scala de Milan, le Royal Opera House de Covent Garden, l’Opéra National de Paris, le Théâtre des Champs-Élysées, le Capitole de Toulouse, la Monnaie de Bruxelles et autres à Berlin, Munich et Vienne, Zurich, Madrid, Barcelone, en Angleterre, au Canada et au Québec. De ces lieux où elle vibre et fait vibrer, elle dit, lors de la série Les grands entretiens diffusée par France Musique : « Les salles de concert et de théâtre, ce sont nos églises d’aujourd’hui et de demain, et c’est ce qui devrait être, parce que ce sont les seuls endroits où on peut se réunir en tant qu’être humain, avoir une émotion qui est dénuée de toute religion, qui est dénuée de couleurs, de races, mais qui touche directement à l’âme humaine. »
Avec le succès vient la contrainte. Très sollicitée, Marie-Nicole passe plus de temps en terre lointaine que chez elle. Un choix de vie qu’elle assume avec son compagnon Dany Rousseau, historien, natif de Mistassini, père au foyer et leur fille Marion, 10 ans, qui a célébré plusieurs anniversaires à Toulouse, Rome, Bruxelles et Vienne. Sur scène, la chanteuse se donne sans retenue, plus farouche cependant quand il s’agit de sa vie privée et modeste dans ses engagements. Marraine de la campagne de financement de la Fondation du Domaine Forget, associée aux œuvres du Cardinal Léger, sa nature impétueuse se révèle dans un rire éclatant qui ne craint pas de devenir orage, claquant à grands coups d’éclairs l’incompréhensible abandon des cours de musique dans les écoles, les menaces de fermeture des conservatoires en région, ou le massacre de la langue française. Poète à ses heures, pour en lire et en écrire, elle déclare vouloir défendre la mélodie française contre vents et marées.
Fille du Lac qui ne renie pas ses origines, avouant entendre dans les vagues du Piékouagami les Chants du bord de mer de Benjamin Britten, elle met son talent au service de concerts-bénéfices, comme ici, à Dolbeau-Mistassini pour cette salle de spectacle Desjardins-Maria-Chapdelaine où les gens de sa région sont réunis, ce soir, pour lui rendre hommage.
Marie-Nicole Lemieux
Contralto de renommée internationale
pour son authenticité et sa carrière exceptionnelle
fut reçue
Membre de l’Ordre du Bleuet